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Pommiers 1914-1918
1 novembre 2010

A la Saint Michel...

Tout le monde déménage !
Vous connaissez ce jeu ? Je ne sais pas si il est normand, mais son origine est certainement lié aux baux qui, en Normandie, depuis le moyen âge, couraient et étaient révisés à la Saint Michel (29 septembre).
Quel rapport avec la première guerre mondiale et les Pommiers ?

Les Pommiers justement, lorsqu'ils étaient agriculteurs exploitants étaient pour beaucoup des fermiers, c'est à dire qu'ils louaient leur exploitation. Les baux étaient pluriannuels et débutaient et se terminaient à la Saint Michel.

Gabrielle Lebahy, de Raffetot, était l'épouse de Robert, mobilisé au 36e RI et porté disparu le 10 septembre 1914. Elle gérait donc l'exploitation en l'absence de son mari. Le 11 août 1917 elle dépose une requête auprès du tribunal civil du Havre.
Dans l'exposition de la requête on apprend que Gabrielle, "peu experte dans la culture, a éprouvé jusqu'à ce jour les plus grandes difficultés  pour faire face aux charges du bail". Elle fut même poursuivie par le propriétaire.
Sa demande était de pouvoir résilier le bail et  vendre le mobilier et le matériel de la ferme ainsi que la récolte, afin de pouvoir s'installer "dans une ferme moins importante, près de sa mère qu'elle se propose de louer".

jugement_Stmichel_1

Gabrielle était donc bien seule, sans enfants mais aussi visiblement sans grand soutien familial puisqu'il est stipulé qu'elle souhaitait s'installer près de sa mère et non de ses parents. Le tribunal autorisa Gabrielle à résilier le bail et à vendre mobilier, matériel et récolte pour 10 000 francs. Une somme de 3 000 francs lui fut allouée pour son installation, le surplus devant servir à payer les différents frais et sommes dues, et le reste devant être placé en rentes 5% sur l'Etat Français au nom des époux Lebahy et ce jusqu'à ce que sa situation soit régularisée. Le décès de Robert fut fixé au 10 septembre 1914 par un jugement du tribunal civil du Havre du 24 septembre 1920.

Raffetot_MPLF_Lebahy_1573

A la Saint Michel 1917 Gabrielle déménagea.

Alcide Marcel Fondimare était lui cultivateur à Lintot. Célibataire, sa soeur Eglantine gérait la ferme  depuis sa mobilisation au 24e RIT. Le 5 septembre 1916, Marcel disparut dans la catastrophe du tunnel de Tavannes. Eglantine demanda donc, le 14 mars 1917, à être nommée administratrice judiciaire de la ferme, avec l'accord des 12 héritiers possibles de Marcel. Elle demandait aussi à être autorisée à régler les comptes avec le propriétaire de la ferme et payer toutes  "les sommes relatives à la sortie de la ferme" en vendant aux enchères le matériel, les récoltes et le bétail. Le compte du passif et de l'actif de ce qui appartenait à Marcel Fondimare devant être dressé par un notaire de Bolbec. Une décision sur le devenir de ces comptes devant être prise ultérieurement.

jugement_Stmichel_2

Le père d' Eglantine et de Marcel s'était porté caution pour le bail. Décédé l'engagement  échut alors aux héritiers. Il y eut probablement des difficultés pour faire face aux charges ce qui entraîna  cette demande.
Le décès de Marcel Fondimare fut fixé au 5 septembre 1916 par le tribunal civil du Havre dans un jugement du 2 juin 1921.

Fondimare_1120

Eglantine déménagea-t-elle aussi à la Saint-Michel 1917 ?

Combien d'épouses, de familles durent faire face à des engagements pris antérieurement au conflit et se trouvèrent dans l'incapacité à gérer les fermes, commerces, patrimoines divers, du fait de l'absence du mari, du père, du fils ? Le fond du tribunal civil du Havre (série 3 U 2, archives départementales de la Seine Maritime) contient de nombreux dossiers de ce type. Hommes disparus ou prisonniers, leur sort non connu, il fallait pourtant que les femmes continuent à payer les charges inhérentes. Quelle protection l'Etat avait-il prévu pour ces femmes, ces familles ?

Vendre la ferme, vendre une part de sa vie, sans même savoir si le compagnon, le frère, le fils lui même ne l'a pas déjà perdue la vie, combien furent elles, comme Gabrielle ou Eglantine, à subir ce sort ?

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Commentaires
M
Un article émouvant, comme tous ceux relatifs à cette guerre certes, mais encore plus par le sort commun des "petites gens", cet aspect " dérisoire " par rapport au carnage ... <br /> Encore des laissés-pour-compte ... Des morts et des survivants dans le plus grand besoin, spoliés de leurs morts et du peu qui leur appartenait.<br /> <br /> Merci, Valérie, pour tout.
Pommiers 1914-1918
  • Des poilus du Pays de Caux 1914-1918 : "[...] il y a à côté de moi un tas de pommiers [...] en train de discuter de leur vaque et de leurs veaux..." Gaston Olivier, lettre du 4 janvier 1915.
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