Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Pommiers 1914-1918
12 août 2010

Monsieur le Procureur...

lettre_27juin1919" St Eustache la forêt le 27-6-19

Mr le Procureur
Je vous écris quelques lignes pour vous demander un renseignement car ayant reçu un papier du chef du bureau de comptabilité du 24e Régiment d'infterie car vu que je n'étais pas mariée il me faut un jugement pour que je puisse toucher le pécule car nous avions onze ans de ménage et mère de deux enfants..."

Archives départementales de la Seine Maritime 3U2/402 jugements d'attribution de pécules de pensions de guerre

Marguerite était tisserande, comme son compagnon Arthur. Les parents de Marguerite s'étaient opposés à leur mariage, ils vivaient donc "maritalement depuis 1903". Arthur, caporal au 224e RI, 23e compagnie, décéda des suites de ses blessures le 25 mars 1917, à Soissons.

A une date non connue (antérieure au 31 mai 1919) elle fit probablement une démarche afin que lui soit versé le pécule de son compagnon. Le pécule était constitué par des retenues faites sur  différentes indemnités perçues par les soldats ; il était versé au soldat à la démobilisation, ou bien à ses ayants droit en cas de décès. (veuve, enfants, ascendants). Un décret  du 6 février 1919 fixa l'attribution du pécule aux familles des combattants morts pour la France (il était versé en numéraire jusqu'à 250 francs le surplus étant en bons de la défense nationale à 1 an).

Marguerite et Arthur vivaient en concubinage, le décret ne mentionne pas les concubines comme ayants droit. Le bureau de comptabilité du 24e RI envoya donc au maire de Saint Eustache la forêt le courrier suivant :

lettre_compta_24eRI
 

Marguerite écrivit donc au procureur de la République du Havre.Le 28 juin, le Procureur déposa une requête auprès des juges pour qu'une enquête soit menée ; un premier jugement, du 4 juillet 1919, commit un juge pour enquête. Le juge de Paix de Saint Romain de Colbosc reçut délégation pour mener l'enquête le 11 août 1919. Il auditionna Marguerite le 20 août 1919. Des pièces furent demandées au Parquet de Louviers (un des enfants était né à Pitres dans l'Eure), à la mairie de Saint Eustache la Forêt. La dernière pièce du dossier date du 28 août 1918, il s'agit de la copie de l'acte de décès d'Arthur.

Sur la chemise qui contient les pièces du dossier, est noté au crayon : "7 janvier 1920 enfants attributaires par [ ? ] de jugt"

Le Jugement final ne se trouve pas dans le dossier.

Il semble donc  que Marguerite n'ait pu bénéficier du pécule (qui devait se monter à 1000 francs) mais que ses enfants en bénéficièrent. Son statut de concubine ne lui a pas permis.

PV_jugepaixEt pourtant Marguerite avait quand même une certaine reconnaissance administrative dans son statut de compagne, du moins auprès de l'armée. Elle percevait l'allocation, "pendant toute la du rée de la guerre" , c'est à elle que fut adressé l'avis officiel de décès. Elle déclara lors de l'audition du 20 août qu'Arthur était resté en correspondance avec elle et qu'il passait ses permissions "à la maison". Ses éléments furent pris en considération mais la loi ne permettait pas ce versement.

Tisserande, ses revenus devaient être très faibles et bien que remariée sa situation devait être des plus précaires. Le reversement du pécule, qui était un droit pour les épouses, aurait pu la soulager financièrement, à défaut de compenser la perte de son compagnon. On sait que la situation des veuves de guerre était très difficile malgré le versement d'une pension, jugée dérisoire. Les femmes comme Marguerite qui n'avaient pas de statut légal durent se trouver dans des conditions d'extrême précarité. Victimes délaissées.

Qu'en est-il du versement à ses enfants, âgés de 11 et 6 ans en 1919. Le pécule était-il bloqué jusqu'à un âge déterminé ? (Le décret du 6 février 1919 ne mentionne pas ce détail). Pour l'instant pas de réponses à ces questions

Les dossiers de jugements d'attribution de pécule, conservés aux AD, forment une source documentaire très intéressante. On peut y trouver des renseignements sur les soldats, mais surtout sur leur famille, ce qu'elles ont enduré au sortir de la guerre en plus du drame décès de l'époux, du père, du fils ou du frère.

Publicité
Commentaires
Pommiers 1914-1918
  • Des poilus du Pays de Caux 1914-1918 : "[...] il y a à côté de moi un tas de pommiers [...] en train de discuter de leur vaque et de leurs veaux..." Gaston Olivier, lettre du 4 janvier 1915.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité