Livre scolaire : Classique Hachette 1952
Voici le premier manuel scolaire que je vous propose : L'Histoire de France, cours élémentaire, A. Bonifacio et L. Mérieult, 1952.
Résolument républicain dans sa couverture ! Chêne et laurier encadrent les soldats de l'an II que l'on imagine chantant la Marseillaise. L'enfant tambour sous le mot "obéissance" du drapeau de la Nation (l'expression complète est "Discipline et obéissance à la loi". Dans la leçon sur les soldats de l'an II c'est le mot "discipline" qui paraît). La symbolique est lourde...
Les programmes qui ont régi ce manuel, destiné aux élèves de CE1 et de CE2 sont ceux de 1945. Ces programmes étaient basés sur 2 éléments : le récit et l'image. (les expressions et mots entre guillemets sont tirées des instructions officielles)
Le maître devait "raconter et non lire" ; il devait trouver "en lui-même [..] les mots simples, directement compris et saisis, les expressions suggestives, les images et les comparaisons frappantes, les termes chargés d'émotion communicative qui donnent au récit toute son efficacité."
L'observation devait avoir une "large place" : observation "d'images ayant une valeur documentaire certaine, observations de portraits, de monuments (du monument lui-même quand ce sera possible...)..."
Peu ou pas de démarche de réflexion, d'analyse de synthèse. La "forme savante et abstraite" des programmes précédents est rejetée. "Au sortir du cours élémentaire" l'élève devait avoir retenu quelques "belles histoires".
Chaque niveau a sa page : la page de gauche pour les CE1, celle de droite pour les CE2. L'image "riche de couleur et de mouvement" visait à "frapper l'imagination, cette faculté si féconde de l'âme enfantine." (les
expressions et mots entre guillemets sont tirées de la préface du manuel). Elle ne se veut pas "accessoire" mais point de départ. Les questions étant un "guide de lecture". Les récits "vivants et concrets" se veulent simples. Un bandeau sur la page de droite montre objets, monuments, armes... qui peuvent servir à des exercices de dessin ou de travaux manuels. Un matériel ludique, comprenant un loto de dates, complétait la méthode. "Une méthode active, des leçons vivantes et joyeuses, des images et récits que l'enfant n'oubliera jamais."
Leçon 31 : La Grande Guerre
Page pour les CE1 (élèves de 7-8 ans) :
Le thème choisi pour l'illustration est bien sûr l'épisode des Taxis de la Marne. Taxis à la queue leu leu, un soldat descend d'un taxi, un autre charge son bardas, certains regardent l'officier qui indique la direction, d'autres sont déjà en route d'un air et d'un pas résolu. Le mouvement est bien décomposé. Les meules, à l'arrière-plan, sont là pour situer dans le temps l'événement. Un chauffeur salue les hommes qui partent.
Le récit est au présent, temps de la narration que l'on veut rendre vivante. Il est essentiellement consacré à la Bataille de la Marne. Les débuts calamiteux du conflit sont évoqués. C'est la défense de Paris qui est mise en avant. L'impression qui peut ressortir est bien sûr que la bataille a été gagnée par les soldats descendus des taxis.Le reste du conflit tient en une phrase. Ainsi est confortée la légende de la Bataille de la Marne, elle est à elle seule la cause de la victoire finale.
Le conflit en lui même est présenté comme une guerre franco-allemande, les alliés étant cantonnés dans un rôle d'auxiliaires que l'on pourrait croire tardif : "en 1918 les Français, avec l'aide de leurs alliés, gagnent la Grande Guerre."
Dans le résumé c'est Joffre qui en gagnant la bataille a sauvé Paris.
Page pour les CE2 (élèves de 8-9 ans) :
Les deux thèmes choisis sont les tranchées et les poilus (visite de Clémenceau aux poilus) et le défilé de la victoire ( Joffre et Foch). Les illustrations sont moins dynamiques que celle de la page précédente. Ici ce sont plutôt "les grands personnages historiques" qui sont mis en valeur. Un fusil posé rappelle que l'on est dans un contexte de guerre.
Dans le récit on explique, succinctement les termes de "poilus" et "tranchées". Clémenceau vient pour "féliciter" les poilus "parce qu'ils sont braves" (expression déjà utilisée dans ce manuel pour les soldats de la Révolution).
Le récit en vis à vis de la deuxième illustration campe un cadre idyllique ("une belle avenue"). Les Français et leurs alliés sont victorieux ; "l'armée des vainqueurs défile", mais de l'armée on ne voit que " les deux généraux en chef" munis de leur bâton de maréchal.
Le résumé est sommaire et met surtout en valeur les "grands personnages". La date du 11 novembre 1918 n'est pas indiquée.
Le bandeau de dessin est composé des différentes médailles, que les élèves ont peut-être pu voir épinglées aux revers des vestes des anciens combattants.
Tout cela paraît bien raccourci, mais il ne faut pas oublier que l'on
s'adressait à des élèves de 7 ou 9 ans. Difficile donc d'entrer dans les détails. Les phrases ont une syntaxe très réduite, ce qui ne permet pas les nuances.
Rien sur les causes de la guerre "l'Allemagne fait la guerre à la France." Le propos est centré sur la France, la notion de conflit mondial est inexistante.
Une guerre propre, aseptisée, sans victimes. Rien sur les conditions terribles (les tranchées sont juste évoquées pour protéger, mais contre quoi ?...), les grandes offensives meurtrières. A titre de comparaison, dans ce manuel, la retraite de Russie rappelle quand même que "des milliers de soldats français meurent"). Pourquoi ce silence alors ? Faits trop proches peut-être... Associer l'image de "grands" républicains à des millions de victimes n'était peut être pas de bon ton.
On reste dans le cadre de la "belle histoire"...